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Jean-François Vigier : « Les élus doivent avoir plus de capacité fiscale pour répondre à l’urgence climatique »

Face à l’ampleur des investissements nécessaires pour répondre à l’urgence climatique, le maire de Bures-sur-Yvette (Essonne) et coprésident de la commission transition écologique de l’AMF, appelle à une capacité fiscale supplémentaire des élus pour pouvoir agir, en proposant « une fiscalité de résidence qui s’adresse à tous ». Autre demande : la possibilité d’emprunter sur des périodes beaucoup plus longues de 30 ou 40 ans. Jean-François Vigier souhaite aussi que la feuille de route nationale fixée par l’Etat ne soit pas verticale et « s’adapte à la diversité des territoires ». Selon lui, les collectivités doivent « pouvoir s’organiser librement en fonction de leurs spécificités ». Dans le fonctionnement du bloc communal, il plaide pour « privilégier la subsidiarité ». 

Selon l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), les collectivités ont beaucoup investi ces dernières années mais cela reste largement insuffisant. Face à ce constat, quelle est votre réaction ?

La première étude d’I4CE, en 2019, chiffrait à 12 Md€ les investissements annuels nécessaires des collectivités, entre 2020 et 2030, pour financer la transition écologique. En 2020, elles avaient dépensé 5,5 Md€. L’étude remise à jour tout récemment indique deux choses importantes. Tout d’abord, les collectivités ont fait des efforts très importants ces dernières années en passant à 8,3 Md€ en 2022 et même à près de 10 Md€ en 2023 (montant qui reste à consolider). C’est énorme mais encore insuffisant selon I4CE.

Deuxième enseignement, l’enquête revalorise les besoins à 19 Md€ par an jusqu’en 2030. Le même effort est donc demandé mais sur une période plus courte. Le problème est que les collectivités se trouvent aujourd’hui confrontées à un pic d’investissements au-delà de la seule transition écologique. En outre, l’étude d’I4CE précise qu’elle n’évalue pas les dépenses de fonctionnement induites par les investissements climatiques.

Quels sont les principaux freins pour pouvoir agir ?

Compte tenu de nos moyens, nous ne sommes pas armés pour financer l’urgence climatique en six ans. Il existe deux freins majeurs qui nous empêchent d'accélérer. Le premier est l’endettement car nous avons une règle d’or de voter un budget en équilibre, ce que nous faisons. Cela signifie donc de ne pas pouvoir dépasser une capacité de désendettement entre dix et quatorze ans. Au-delà d’un certain niveau, on est placé en cellule d’alerte en préfecture avec les services de l’Etat qui débarquent en mairie pour pointer notre façon de dépenser et nous faire la leçon.

Le deuxième frein concerne la fiscalité. Nous avons de moins en moins de ressources fiscales tout en devant expliquer à nos concitoyens qu’il nous faut traiter en urgence la grande cause nationale de la lutte contre le réchauffement climatique et de la décarbonation du pays. Problème : il n’y a qu’une partie de nos habitants, ceux payant la taxe foncière, qui contribuent au financement des politiques publiques. Nous ne pouvons pas faire uniquement appel à eux pour financer la transition écologique.

Dans ce contexte, quelles solutions préconisez-vous ?

Pour accélérer, il faut nous donner la capacité de déployer plus de moyens financiers. Nous ne demandons pas le retour de la taxe d’habitation ou de rajouter un impôt à côté de la taxe foncière. Une fiscalité de résidence qui s’adresse à tous est nécessaire. Sur un sujet d’une telle urgence, il s’agirait d’une taxe universelle permettant à chaque foyer, selon ses capacités, de participer à l’effort. Cette fiscalité doit être simple et compréhensible. Nous devons avoir la responsabilité de fixer des objectifs à nos concitoyens. Un effet « solidarité » peut jouer face à l’ampleur de l’enjeu climatique. Je l’ai bien vu dans ma commune, lors d’une réunion publique, organisée début décembre avec tous les sinistrés de l’inondation que nous avons connu le 10 octobre. Ils comprennent la nécessité de prioriser les investissements pour lutter contre les inondations et retarder au maximum les crues.

Faut-il favoriser une « dette verte » pour les collectivités ?

J’y suis favorable car nous ne pouvons pas rester dans le modèle actuel d’une dette maximum limitée à 13 ou 14 ans. Pour répondre à l'urgence climatique, il s’agit de projets et d’investissements pour les générations futures, qui se feront sur 30 ou 40 ans. Il faut donc impérativement pouvoir s’endetter sur des périodes beaucoup plus longues. D’autant qu’il nous est demandé, à partir de 2025, d’identifier les dépenses d’investissement liées à la transition écologique dans nos budgets. De facto, cela doit signifier de pouvoir emprunter sur du long terme.

Au-delà, il est nécessaire de changer les règles comptables et budgétaires, notamment pour tenir compte des frais de fonctionnement qui accompagnent les projets de transition écologique.

Quels reproches adressez-vous à l’Etat dans son mode de fonctionnement ?

Chaque fois qu’il a besoin de faire des économies, comme aujourd’hui, il ponctionne les collectivités. Je rappelle qu’elles participent à hauteur de 70% à l’investissement public. De par notre bonne gestion, nous sommes les seuls à être en capacité de soutenir l’activité économique. Dans le contexte actuel, les entreprises s’inquiètent à juste titre du risque d’une baisse de la commande publique locale.

Autre constat : ce n’est pas avec les dotations, trop imprévisibles et variables d’un gouvernement à l’autre, que nous pouvons mettre en place des programmes pluriannuels sur la transition écologique. A cela s’ajoutent les nombreuses injonctions contradictoires de la part de l’Etat comme celle de la baisse du Fonds vert avec en même temps la nouvelle obligation d’un budget vert pour les collectivités de plus de 3500 habitants. C’est un comble pour 2025 où l’on devrait pouvoir être à plein régime pour financer la transition écologique. Tout cela montre bien que la question du financement n’est pas réglée.

Par ailleurs, toutes les normes et la bureaucratie qui nous accablent et nous contraignent ne facilitent pas la mise en place de politiques publiques et demandent, en outre, plus de moyens humains. Il y a également le problème d’un Etat qui ne parle pas d’une seule voix. Par exemple, sur ses recommandations, nous encourageons nos habitants à rénover leurs pavillons et à faire des économies grâce à la pose en extérieur de panneaux photovoltaïques mais trop souvent l’ABF (architecte des bâtiments de France) émet des avis négatifs aux demandes déposées. Comment être crédible vis-à-vis de nos concitoyens dans ces conditions ?  

Dans le contexte actuel d’instabilité politique et institutionnelle, nous prenons du retard sur tout alors qu’il y a urgence à agir.

Quelle organisation demandez-vous entre l’Etat et les collectivités ?

Tout le monde doit avancer ensemble et l’Etat a un rôle important à jouer. C’est normal qu’il définisse une feuille de route avec des objectifs nationaux. En revanche, cette feuille de route ne doit pas être verticale et nécessite de s’adapter à la diversité des territoires. Chacun d’entre eux a besoin de pouvoir s’organiser librement en fonction de ses spécificités, et notamment dans l’organisation entre collectivités. Il n’est plus possible de fonctionner avec une règle uniforme sur l'ensemble du pays. Nous avons besoin de fluidité, de souplesse et d’adaptation. Il appartient à l’Etat de nous aider dans ce sens afin d’être plus efficace et d’aller plus vite. En plus des moyens financiers, c’est l’autre condition pour réussir la grande cause nationale de la transition écologique. La liberté sera le corollaire de notre capacité financière.

Comment doit fonctionner le bloc communal ?

L’agglomération peut constituer la bonne échelle notamment pour réaliser un PCAET (plan climat-air-énergie territorial). Mais cela nécessite de se faire en pleine concertation avec les communes. Comme sur les autres sujets, il faut privilégier la subsidiarité signifiant que l’échelon le mieux placé fait. En matière financière et d’ingénierie, l'intercommunalité peut constituer une aide en direction des communes petites et moyennes.

L’impact climatique signifie des dépenses d'atténuation mais aussi d'adaptation. Comment sont-elles traitées ?

L’étude d’I4CE traite des dépenses d'atténuation – financement des mobilités, de la rénovation énergétique des bâtiments, des énergies renouvelables… – et non pas des dépenses d’adaptation. Celles-ci ne sont donc pas chiffrées alors qu’il va s’agir d’investissements gigantesques avec l’amplification des catastrophes naturelles du fait du réchauffement climatique. A ce sujet, on peut s’inquiéter du troisième plan national d’adaptation au changement climatique, présenté fin octobre et actuellement en phase d’enquête publique, qui ne propose pas de pistes de financement sérieuses. Concernant la taxe GEMAPI, son plafonnement limite nos capacités à investir.

© SIOM

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

 

Référence : BW42431
Date : 9 Déc 2024
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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