Le ministre auprès du ministre de l’Intérieur, François-Noël Buffet, a été auditionné la semaine dernière par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’organisation des élections. À cette occasion, il a fait le point sur les réflexions en cours sur ce sujet.
Le ministre a fait, devant la commission, un exposé argumenté et chiffré des « efforts » faits par les gouvernements successifs, ces dernières années, pour améliorer l’organisation des élections. La réforme fondamentale a été, bien sûr, la mise en place du REU (Répertoire électoral unique), qui a considérablement changé la donne en ouvrant de nouvelles possibilités : mise à jour automatique des listes, inscriptions plus tardives sur les listes électorales, possibilité pour les électeurs de consulter en ligne leur situation électorale, possibilité de s’inscrire en ligne, etc.
La dernière réforme en date est la dématéralisation d’abord partielle, puis totale des demandes de procuration. Pour tous les électeurs, il est désormais possible d’accéder à la dématérialisation partielle : la demande de procuration se fait en ligne, mais il est indispensable de se rendre dans un commissariat ou une gendarmerie pour faire attester son identité. Une fois que cette formalité est remplie, le reste de la procédure est automatisé et la commune reçoit directement la demande.
Quant à la dématérialisation totale (sans passage au commissariat ou à la gendarmerie), elle n’est techniquement possible que pour les électeurs munis d’une carte d’identité au nouveau format « carte de crédit », qui permet de bénéficier d’une identité numérique certifiée. Ce dispositif a été testé, avec succès, lors des deux précédents scrutins.
François-Noël Buffet a annoncé que ce dispositif allait être généralisé, c’est-à-dire qu’il sera désormais accessible, de droit, à toutes les élections. Il a rappelé qu’aux élections de 2024, 75 % des électeurs ayant demandé une procuration ont utilisé la téléprocédure (partielle ou totale). « Un décret en Conseil d’État » sera pris « très prochainement » et généralisera la possibilité d’établir une procuration de façon totalement dématérialisée « pour toutes les élections, y compris partielles ». Cette réforme entrera en vigueur avant les élections municipales de 2026.
Le ministre a par ailleurs indiqué être « prêt à travailler » avec le Parlement sur « l’instauration d’une date limite » pour l’établissement des procurations. Il a évoqué le cas des « procurations établies en toute hâte le samedi après-midi, le samedi soir quand ce n’est pas le dimanche matin ». Ces procurations sont « juridiquement valables, mais les conséquences administratives sont terribles, puisqu’il faut rééditer la liste électorale ». Il faut donc « trouver une solution », qui pourrait être l’instauration d’une date limite « qui pourrait être le vendredi, ce qui paraît assez souple ».
Reste que le ministre a lui-même souligné le problème que poserait une telle réforme : une forme de contradiction entre le fait de « résoudre un problème pratique » et celui de favoriser la participation. Au premier tour des élections législatives de 2024, « 400 000 procurations ont été établies en ligne » dans les 48 heures précédent le scrutin, a indiqué François-Noël Buffet, et encore « 200 000 » dans les deux jours précédant le second tour. « C’est un point que nous devons avoir en tête », a souligné le ministre.
Pour mémoire, l’AMF s’est à plusieurs reprises dite totalement favorable à l’instauration d’une telle date limite, estimant « illusoire » que toutes les procurations établies tardivement puissent être réellement prises en compte.
Depuis 2021, et en réponse aux nombreuses alertes remontées, en particulier de la part de petites communes sur les difficultés logistiques à intégrer jusqu’au dernier moment les procurations dans le REU, l’AMF s’est prononcée à plusieurs reprise sur la nécessité de fixer par décret une date limite de dépôt des procurations au jeudi soir précédant le scrutin à minuit, ou éventuellement le vendredi soir.
Rappelons également que l’AMF demande, depuis la fin de la crise covid-19, le rétablissement de la double procuration pour l’ensemble des scrutins. On se souvient que lors des élections qui s’étaient tenues pendant l’épidémie, le Parlement avait autorisé chaque mandataire à disposer de deux procurations établies en France – au lieu, en temps normal, d’une seule maximum. La suppression de cette possibilité en 2022 avait suscité « l’incompréhension des maires », souligne l’AMF.
L’audition du ministre a également été l’occasion de revenir sur la question des « mal-inscriptions » et du débat récurrent sur l’instauration d’un dispositif d’inscription automatique.
Il faut bien en effet dire « automatique » et « obligatoire » puisque, même si la chose est fort peu connue, l’inscription sur les listes électorales est déjà obligatoire en France, comme en dispose l’article L9 du Code électoral. Sauf que cette disposition n’étant assortie d’aucune sanction, elle est purement théorique, et n’empêche pas un nombre relativement important d’électeurs d’être non-inscrits.
Il faut néanmoins souligner que le nombre de non-inscrits et de mal-inscrits ne cesse de diminuer au fil des années, et plus particulièrement depuis l’instauration du REU. En 1985 par exemple, une question au gouvernement d’un sénateur mentionnait un taux de non-inscrits de « 9 % du corps électoral ». En 2024, ce chiffre est tombé, selon l’Insee, à 5,4 %. Selon les chiffres donnés par le ministre, en 2024 « 99 % des Français de moins de 30 ans et plus de 95 % des Français en âge de voter étaient inscrits sur une liste électorale, contre respectivement 88 % et 85 % en 2018 ».
Faut-il aller plus loin en instaurant une inscription automatique ? Le gouvernement n’y est pas favorable, pour plusieurs raisons. La plus importante étant qu’un électeur est libre, quand il en a la possibilité, de s’inscrire dans la commune de son choix entre, par exemple, sa commune de résidence et celle où il possède une résidence secondaire ; ou encore, les jeunes de moins de 26 sont libres de rester inscrits dans la commune de résidence de leurs parents. Une inscription automatique remettrait en cause cette liberté de choix.
Par ailleurs, le ministre – dans une réponse à une question d’un parlementaire – souligne que l’inscription automatique « remettrait en cause le rôle du maire, qui est le garant de la sincérité de la liste électorale ». En effet, « le maire se prononce sur chaque demande d’inscription après instruction du dossier. Sa décision est susceptible de faire l’objet d’un recours administratif préalable obligatoire puis d’un recours devant le tribunal judiciaire ».
Enfin, l’instauration d’un tel système poserait un problème de « protection de la vie privée » des électeurs. Soulignons que la position de l’exécutif n’a guère varié sur ce sujet au cours des décennies : en 1974, à la même question, le gouvernement répondait qu’« une telle disposition n'est pas dans la ligne traditionnelle de libéralisme qui inspire notre droit. Sur le plan pratique, rendre l'inscription sur les listes électorales obligatoire impliquerait un contrôle et des investigations qui pourraient prendre un caractère inquisitorial ».
Le gouvernement préfère donc continuer à « simplifier les démarches d’inscription » et poursuivre « ses efforts d’information », « tout en préservant l’initiative de l’électeur et les prérogatives du maire ».
Le ministre a, enfin, abordé la question du moratoire sur les machines à voter, instauré en 2008. Depuis cette date, il n’est plus possible d’installer des machines à voter, mais les communes qui en utilisaient auparavant peuvent continuer à le faire.
Pour François-Noël Buffet, cette situation d’entre-deux ne peut plus durer : « Soit on continue, soit on arrête », a résumé le ministre, qui souhaite réunir un groupe de travail pour réfléchir à la question, avec un axe clair : est-ce qu’il est possible de garantir aujourd’hui la sécurité des opérations de vote, notamment contre le piratage ? Si oui, le ministre est, « à titre personnel », favorable à la levée du moratoire. Si non, il faut renoncer à les utiliser… bien que les communes concernées « n’en aient pas du tout envie », a noté le ministre.
On peut regretter, pour finir, que le sujet de la compensation versée par l’État aux communes pour l’organisation des élections n’ait, en revanche, pas été abordé lors de cette audition. Rappelons que son montant n’a pas été augmenté depuis presque 20 ans, laissant ainsi un reste à charge important pour les communes alors qu’en 2024, elles ont dû organiser deux scrutins dans un temps recours, en période de vacances scolaires, et que de multiples référendums sont par ailleurs annoncés.
Franck Lemarc pour Maire-info, article publié le 27 mai 2025.
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