À quand la nomination d’un gouvernement ? Si l’on prend au pied de la lettre les propos du Premier ministre, Sébastien Lecornu, dans le Parisien, les choses devraient aller très vite : « Le gouvernement sera nommé avant le début des travaux parlementaires. » Dans la mesure où la session ordinaire du Parlement s’ouvre… mercredi, cela veut-il dire que le gouvernement sera nommé demain ? C’est peu probable. En réalité, si la session parlementaire s’ouvre bien mercredi 1er octobre, l’agenda de l’Assemblée nationale, en séance publique, ne contient pour ce jour-là que l’élection des vice-présidents et des questeurs – et le lendemain, celle des secrétaires du Bureau de l’Assemblée. Des séances qui donneront lieu, comme à l’été 2024, à d’intenses tractations en coulisses, mais qui peuvent se dérouler sans présence ministérielle. Les véritables « travaux parlementaires » ne débuteront donc sans doute que la semaine suivante… sans que l’on ait, d’ailleurs, la moindre idée de ce sur quoi vont travailler les députés, l’agenda étant pour l’instant parfaitement vierge.
La fumée blanche est donc peut-être à espérer en fin de cette semaine ou début de semaine prochaine. Quant au casting, Sébastien Lecornu ne laisse filtrer aucune information, si ce n’est qu’il ne souhaite pas faire de « débauchage de personnalités issues d’une formation politique qui ne soutiendrait pas le gouvernement ». Il y a, ceci dit, peu de mystère sur la couleur politique de ce gouvernement : les ministres devront « partager les grandes orientations du socle commun », c’est-à-dire qu’ils seront issus, comme dans le gouvernement précédent, du bloc central (Renaissance, MoDem, Horizons) et éventuellement des LR… à condition que le projet de budget ne contienne pas de hausses d’impôts, puisque c’est la ligne rouge fixée par le parti de Bruno Retailleau.
Un moment évoquée, la participation du Parti socialiste au gouvernement semble s’éloigner, dans la mesure où aucune des demandes de ce dernier n’a trouvé l’oreille du Premier ministre. On ne voit donc guère de raisons que le prochain gouvernement ne ressemble pas fortement aux deux précédents, ceux de Michel Barnier et de François Bayrou.
Sur le contenu du projet de loi de finances, Le Premier ministre reste là encore assez général. S’il dit « repartir d’une feuille blanche » – c’est-à-dire ne pas avoir l’intention de reprendre à l’identique le projet Bayrou, ni même s’appuyer dessus –, et même s’il juge « hors de question » de présenter un budget « d’austérité et de régression sociale », on voit mal ce qui différencie, sur le fond, les deux projets. Sébastien Lecornu souhaite lui aussi un grand plan d’économies, des « efforts » qui soient « compris », « partagés » et « justes » (autant d’adjectifs largement utilisés par son prédécesseur). Il veut « une meilleure maîtrise des dépenses (…) des collectivités territoriales » – évoquant à nouveau la « réforme de notre organisation territoriale via la décentralisation » comme levier d’une diminution des dépenses de l’État. Sauf que se pose, ici, un problème de calendrier : la grande loi de décentralisation que souhaite Sébastien Lecornu n’a aucune chance d’être rédigée, présentée, débattue et adoptée – si elle l’est – avant la fin de l’année. Le budget qui sera adopté d’ici la fin décembre ne pourra donc pas s’appuyer sur cette réforme.
Dans cet entretien, Sébastien Lecornu ferme clairement la porte à l’essentiel des revendications de la gauche : la taxe Zucman (qui vise à s’assurer que les 1 800 détenteurs d’un patrimoine de plus de 100 millions d’euros payent bien au moins 2 % d’impôts sur ce patrimoine) n’est « pas une bonne réponse ». Pas question non plus d’une remise à plat de la réforme des retraites, dont le Premier ministre estime qu’il s’agit d’une sujet « pour la présidentielle », ni d’un retour de l’impôt sur la fortune.
Pour ce qui est de revendications de la droite et de l’extrême droite, le Premier ministre se montre plus flou. Il ne « veut pas » de hausses d’impôts « globales », mais reconnaît qu’il faut faire évoluer sur la « répartition de la charge » des impôts actuels, disant vouloir « entendre que les Français nous demandent plus de justice fiscale ». Sébastien Lecornu annonce simplement que dans le projet de budget qu’il va présenter, « certains impôts augmenteront, d’autres diminueront ». Il ne se prononce pas non plus sur le fait de vouloir ou non mettre en place, comme François Bayrou le prévoyait, une « année blanche », répondant laconiquement à cette question : « Je présenterai le budget en temps et en heure. » Même échappatoire sur l’ampleur des économies qu’il entend demander : 44 milliards d’euros comme le souhaitait François Bayrou, plus, moins ? Réponse : « Je présenterai un budget transparent. » Autrement dit : la question n’est pas tranchée.
La seule évolution clairement exprimée par le Premier ministre concerne « la fraude sociale et fiscale » : il promet qu’un « projet de loi ambitieux » sur ce sujet sera présenté « en même temps que (les projets de) loi de finances et de financement de la Sécurité sociale », soit dans deux ou trois semaines maximum, ce qui paraît là encore pour le moins ambitieux. « Il faut regarder toutes les dérives et toutes les fraudes », martèle Sébastien Lecornu, qui ajoute : « Il faut dénoncer toutes les optimisations ». Il s’agit bien là d’une nouveauté, tous les gouvernements ayant jusqu’à présent tracé une ligne claire entre « fraude fiscale » (illégale) et « optimisation fiscale » (peut-être « amorale », mais « légale », comme disait le député Sacha Houlié). Le Premier ministre va-t-il réellement s’attaquer à l’optimisation fiscale, ou en restera-t-il aux déclarations d’intention ? On le saura si ce fameux « projet de loi ambitieux » voit le jour.
Notons enfin que Sébastien Lecornu, qui entend donner au débat parlementaire toute sa place et souhaite éviter, autant que possible, de recourir au 49-3 pour faire passer son budget, ne trace, contrairement à d’autres personnalités de son camp, aucune exclusive : il n’exclura de la négociation ni les députés RN ni ceux de LFI, car « tous les députés sont détenteurs de la souveraineté nationale (et ont) tous les mêmes droits et les mêmes devoirs ».
Il reste donc à attendre la nomination du gouvernement, et la présentation, forcément ultra-tardive au regard du calendrier constitutionnel, d’un projet de loi de finances. De cet entretien, il semble que ni l’une ni l’autre ne devrait donner lieu à de grandes surprises.
Il subsiste au moins une inconnue dans ce scénario : c’est l’ampleur de la mobilisation sociale de la nouvelle journée de mobilisation prévue jeudi 2 octobre. Si celle-ci est sur une courbe ascendante par rapport au 18 septembre, le Premier ministre sera sans doute contraint de faire un certain nombre de concessions dans son projet de budget. Dans le cas contraire, il y a fort à parier que, jours fériés supprimés en moins, sa copie sera assez similaire à celle de son prédécesseur à Matignon.
Franck Lemarc pour Maire-info, article publié le 29 septembre 2025.
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