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Services publics : le Sénat met en garde contre le tout numérique

Dans un nouveau rapport sur les services publics, les sénateurs constatent des fractures persistantes dues à la dématérialisation, tout en reconnaissant des avancées ces dernières années pour l’accès aux services publics. Plaidant pour qu’ils soient à la fois simples, accessibles, efficaces et humains, ils insistent sur l’attention à porter à certains publics éloignés des outils numériques. La mission d’information préconise d’améliorer l’accueil et l’accompagnement des usagers ou de rendre le réseau France services, déployé à partir de 2020, plus performant, tout en le qualifiant de progrès qui « remet de l’humain » dans le contact avec les administrations. Mais en déplorant un financement qui repose trop sur les collectivités.

Face à une dématérialisation des services publics qui s’impose désormais dans de nombreuses démarches administratives, des difficultés importantes perdurent pour bon nombre d’usagers. Dans leur rapport, intitulé « Faciliter l’accès aux services publics : restaurer le lien de confiance entre les administrations et les administrés »*, et publié le 16 septembre, les sénateurs alertent à leur tour sur les dégâts d’une dématérialisation trop rapide avec une partie des usagers laissés au bord de la route (âge, handicap, éloignement géographique, manque de matériel ou de compétences numériques). Et de pointer un risque de « déshumanisation des services publics ».

 

« Une nouvelle norme du service public »

Le mouvement semble inexorable, en France comme dans les autres pays : la dématérialisation s’est imposée comme « une nouvelle norme du service public ». En effet, 82% du total des démarches sont réalisées en ligne chaque année, suite à la priorité accordée au « tout-numérique » depuis les années 1990. « Contrairement à une idée reçue, l’exclusion numérique n’est pas en voie de régression », s’alarme Nadège Havet, sénatrice du Finistère et rapporteure de la mission d’information. Pas moins de 44% des Français rencontrent toujours des difficultés pour faire leurs démarches en ligne.

Selon les sénateurs, le tout numérique ne peut pas constituer la seule réponse. Le contact humain (guichet physique, accueil téléphonique) reste indispensable pour des démarches plus complexes. Ils formulent 20 recommandations autour de plusieurs axes : améliorer l’accueil et l’accompagnement des usagers, rendre le réseau France services plus performant pour renforcer l’accès aux services publics dans tous les territoires, mieux protéger les usagers contre les sites frauduleux…

Risque de « précarité relationnelle »

Une étude du Sénat a été réalisée dans le cadre de la mission d’information. Les deux principales causes de dégradation de l’accès aux services publics sont le désengagement de l’État et la dématérialisation, à l’origine d’un risque de « précarité relationnelle » pour les usagers, en particulier les plus défavorisés. Autre constat : un jugement positif sur les espaces France services, considérés comme un progrès, qui « remettent de l’humain face aux plateformes téléphoniques ou internet ». Les commentaires sont élogieux : « une grande réussite », « de bons retours », « services de très bonne qualité », « la satisfaction des usagers fait plaisir à voir »… Ils apparaissent comme un bon compromis entre la numérisation et l’accompagnement humain, notamment grâce aux conseillers numériques. La logique de l’« aller vers », illustrée par les solutions itinérantes telles que les bus France services, vise aussi à mettre les services publics à la portée de tous les usagers et de tous les territoires.

« Réussite évidente du dispositif France services »

Nadège Havet se félicite de « la réussite évidente du dispositif France services », qualifié par Françoise Gatel, ancienne ministre déléguée à la ruralité, lors de son audition, d’« invention géniale » : « les France services c’est le premier kilomètre et non le dernier : le service va aux administrés ! ». Atouts mis en avant par les sénateurs : la fourniture d’une aide administrative en proposant dans le même temps un contact humain, la capacité à s’adapter aux usagers et à la diversité des publics et des besoins locaux. La neutralité du lieu France services permet en outre de toucher des usagers qui, très éloignés des services publics, ne se rendraient pas aux guichets des différentes administrations.

Le maillage territorial du dispositif est quasiment achevé : 2804 France services déployés et ouverts sur l’ensemble du territoire (chiffre juin 2025) dont 60 % en zones rurales. Le rapport salue aussi son déploiement plus récent dans les zones urbaines : 594 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) sont couverts.

Demandes de plus de financements de l’État

Un bémol face à ce satisfecit : le Sénat rappelle que les France services résultent d’un désengagement de l’État dans les territoires. Et de pointer : « si l’État impulse le dispositif, il en délègue largement la mise en œuvre et la charge financière aux intercommunalités ou aux communes, qui doivent assurer l’accueil, le personnel et les moyens logistiques ». De plus, malgré l’amélioration de l’accès aux services publics, cette évolution n’a permis qu’un rattrapage partiel suite aux différentes vagues de fermetures. « Leur succès est surtout le reflet du manque de services publics de proximité », constatent ainsi les sénateurs.

Le dispositif pèse sur les finances des collectivités. 40 000 euros par an selon un élu ou 120 000 euros pour une commune porteuse de deux structures. Un autre témoigne de « services bien rendus mais portés à bout de bras par l’interco alors que l’État fait croire qu’il est le financeur de ce service ». Tous les élus se rejoignent pour demander plus de financements à l’État.

Organiser des permanences dans les mairies

La mission d’information préconise de poursuivre le développement des France services dans les QPV qui restent moins dotés. Autre recommandation : amplifier les formules itinérantes qui permettent de rayonner au-delà des structures et de se rapprocher des usagers, dans une logique d’« aller vers ».

Les sénateurs proposent aussi d’organiser des permanences France services dans les mairies, car « elles sont depuis longtemps un France services avant l’heure ! », selon plusieurs élus locaux. Développer ces permanences permettrait également de renforcer la visibilité des mairies, alors que celle-ci a été altérée, selon certains témoignages, au profit des intercommunalités : « ma collectivité a été dépouillée de ses services publics au profit de la comcom qui est à 30 mn en voiture », déclare ainsi un élu. Un autre déplore un mouvement de centralisation par les EPCI transformant la mairie en simple « bureau de renseignement ».

Des implantations dans les sous-préfectures

Autre proposition : implanter de nouveaux espaces dans les sous-préfectures, « dans une logique de rééquilibrage des coûts incombant aux collectivités ». En effet, 1% seulement des France services sont portés par l’État (quatre en préfecture et 34 en sous-préfecture). Les sénateurs mettent en avant l’infrastructure nécessaire à l’accueil du public que possèdent les sous-préfectures et leur localisation en centre-ville.

Enfin, pour mieux protéger les usagers contre les sites frauduleux proposant d’effectuer des démarches administratives contre rémunération, la mission d’information plaide pour renforcer l’arsenal pénal. Autres pistes avancées : unifier la présentation des sites officiels de démarches administratives et poursuivre leur référencement tout en déréférençant les sites frauduleux, encourager un partenariat entre les collectivités et le site mesdroitssociaux.fr…

Pierre Plessis

 

* https://www.senat.fr/rap/r24-895/r24-8951.pdf

 

 

Référence : BW42789
Date : 29 Sep 2025
Auteur : Pierre Plessis pour l'AMF


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