Le dramatique effondrement du pont Morandi de Gênes, le 14 août 2018, qui avait fait 43 morts, a servi d’électrochoc : c’est à la suite de cette catastrophe que le Parlement, le gouvernement et les services de l’État se sont emparés de la question de l’entretien des ponts. En juin 2019, un rapport sénatorial intitulé Sécurité des ponts, éviter un drame lançait l’alerte : l’état du patrimoine d’ouvrages d’art (ponts et murs de soutènement) des communes est mal, voire très mal connu.
En réaction, l’État a confié au Cerema, en 2021, la mission de recenser et d’évaluer les ouvrages d’art communaux. Deux lignes budgétaires ont été dégagées : l’une, de 50 millions d’euros, pour financer le recensement et l’évaluation ; l’autre, de 55 millions d’euros, en 2023, pour financer les travaux les plus urgents. Un budget qui est tout de suite apparu, de façon évidente, très sous-dimensionné – le Cerema lui-même estimant, dans un premier temps, que le coût de rénovation des ponts les plus dégradés approcherait les 400 millions d’euros. Des chiffres qui, on va le voir, ne cessent d’enfler.
Quatre ans après le début du programme, le Cerema vient de publier un bilan, avec des chiffres actualisés au 31 octobre 2025.
Sur les 64 000 ouvrages (ponts et murs) recensés, 52 799 ont été « évalués » (35 260 ponts et 17 539 murs). Si un peu plus de la moitié des murs de soutènement inspectés (52 %) sont « en bon état », il n’en va pas de même pour les ponts, dont seulement 28 % sont en bon état. 29 % des ponts « présentent des désordres structuraux significatifs ou majeurs ». 7 % des ponts et murs ( 3 607) nécessitent « une action immédiate » et 6 % (3 019) nécessitent une limitation de tonnage ou une fermeture immédiate du fait de leur dangerosité.
Le Cerema note que « les pathologies les plus récurrentes rencontrées sur les ouvrages évalués sont liées à des défauts de maçonnerie, à la corrosion des aciers et à l’action d’un courant d’eau altérant les appuis de certains ouvrages ».
Du point de vue de la répartition géographique, ce sont – de façon contre-intuitive – les régions qui ont le plus de ponts qui présentent la plus faible proportion de défauts « significatifs ou majeurs » : ainsi la région Auvergne-Rhône-Alpes et l’Occitanie, qui comptent chacune plus de 10 000 ouvrages (ce sont des régions montagneuses), ne comptent respectivement que 15,9 % et 18,4 % d’ouvrages présentant des défauts graves. À l’inverse, en Bretagne, qui compte moins de 2 000 ouvrages, un tiers d’entre eux présente des défauts significatifs ou majeurs. Une fois n’est pas coutume, c’est la région Île-de-France qui est la plus mal lotie, avec 34,2 % d’ouvrages présentant de graves défauts.
Fort de ces constats, le Cerema a sérieusement revu à la hausse le coût de la « remise en état » complète du patrimoine des communes de métropole : il faudrait y consacrer 3,3 milliards d’euros, dont « 800 millions d’euros pour les ouvrages nécessitant une action immédiate ». Pour les outre-mer, ces chiffres seraient de 63 millions d’euros et 18,5 millions.
Le bilan du PNP (Programme national ponts) est, évidemment, très loin du compte, puisque le Cerema recense, au bout de deux ans, seulement 348 ouvrages qui ont bénéficié d’une subvention – mais pour la moitié d’entre eux, les travaux n’ont pas encore commencé.
Il y a donc urgence à ce que des budgets conséquents soient débloqués à ce sujet – les collectivités n’ayant aucunement les moyens de faire face. Économies budgétaires ou pas, ce sont bien des vies humaines qui sont en jeu ici, comme le soulignait le rapport sénatorial de 2019, qui demandait de « ne pas attendre qu’un accident se produise » pour mettre en place « un plan Marshall pour les ponts ». Les sénateurs rappelaient qu’il avait fallu le terrible incendie du tunnel du Mont-Blanc (39 morts en 1999) pour que l’État débloque de très importants crédits pour la mise en sécurité des tunnels.
Le Sénat demandait – et cette demande reste d’actualité – que l’État débloque, d’une part, 120 millions d’euros par an pour l’entretien des ponts, et, d’autre part, un fonds de soutien aux collectivités de 1,3 milliard d’euros étalés sur 10 ans. Jusqu’à présent, les gouvernements successifs ont tous refusé de créer un tel fonds, qui ne figure pas plus dans le projet de budget pour 2026 que dans les précédents. Pourtant, les chiffres dévoilés par le Cerema devraient alarmer.
En attendant, l'AMF s'élève contre une proposition du gouvernement - non soutenue par le Cerema –, qui consisterait à prendre 50 millions d'euros sur les recettes de la TEITLD (Taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance), actuellement affectés aux réseaux routiers communaux, pour le rediriger vers le programme national ponts. Il s'agirait donc ici de déshabiller Pierre pour habiller (fort légèrement) Paul, ce qui ne semble évidemment pas une solution satisfaisante.
Franck Lemarc pour Maire-info, article publié le 25 novembre 2025.
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