Espace des Associations départementales


Espace Élus Espace AD
DÉBAT (Grand auditorium) - Jeudi 21 novembre 2019 - 9h30 à 12h00

Les élus pressent l‘Etat d‘engager une réforme de la fiscalité locale préservant leur autonomie

Les associations nationales d‘élus ont présenté une motion commune sur l‘avenir de la fiscalité locale dans laquelle elles demandent notamment que l‘engagement gouvernemental de compensation de la suppression de la taxe d‘habitation « à l‘euro près» soit effectif. 

C

oup de tonnerre lors du débat sur l‘avenir des finances et de la fiscalité locale, le 21 novembre : les associations nationales d‘élus ont présenté une motion commune (1) sur la fiscalité locale dans un mouvement d‘unité relativement rare. Elles y réclament la compensation intégrale et « effective » de la suppression de la taxe d‘habitation, la mise en place d‘une loi de finances dédiée aux collectivités ainsi que la révision « dans les meilleurs délais » des valeurs locatives des locaux d‘habitation. Elles demandent, en outre, la fin des « déclarations visant à remettre en question la fiscalité économique locale ». « C‘est la première fois qu‘une telle initiative est prise dans le domaine financier », a souligné le président de la commission des finances de l‘AMF, Philippe Laurent, considérant cette résolution comme la « préfiguration d‘une forme de coordination des associations d‘élus ».

Revalorisation des bases en 2020

Les signataires – AMF, Régions de France, Assemblée des départements de France, France urbaine, Villes de France, Association des maires ruraux de France, Association des petites villes de France et Assemblée des communautés de France - appellent donc le gouvernement à mettre en acte sa promesse de compenser « à l‘euro près » la suppression de la taxe d‘habitation. Bien que le gouvernement ait renoncé à son projet de geler les bases locatives, comme le prévoyait initialement le projet de loi de finances (PLF) pour 2020, le doute s‘est largement instillé dans les esprits des élus quant à cette promesse. D‘autant que la revalorisation de 0,9 % finalement concédée pour l‘an prochain s‘est faite sur la base du taux de l‘indice des prix à la consommation et non sur celui de l‘habituel indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), évalué à 1,1 % par les députés en commission. Pour cette raison, les associations d‘élus exigent que la règle prévalant jusqu‘à présent ne soit pas modifiée. En outre, les associations d‘élus demandent que « les départements conservent la liberté de fixer l‘impôt » (alors qu‘ils sont voués à la perdre dans le schéma prévu par la réforme en cours), et que ces derniers, tout comme les EPCI, ne subissent pas à compter de 2021 une « année blanche » dans l‘évolution de leurs ressources fiscales.

Compensation de la TH : l‘année 2017 reste un « point de désaccord » 

La compensation intégrale de la suppression de la TH promise par le gouvernement suscite méfiance et scepticisme de la part des élus. « La fable de la compensation à l‘euro près ne tient pas », a estimé le président du Comité des finances locales (CFL), André Laignel. « Depuis deux ans, on ampute ce qui était censé être des compensations irrévocables à l‘occasion de la suppression de la taxe professionnelle, l‘abaissement de la DCRTP ces deux dernières années et à nouveau annoncé pour 2020 ». Outre la modification de la règle de réactualisation automatique des bases, le 1er vice-président délégué de l‘AMF a pointé une seconde mesure qui, « d‘ores et déjà ampute le remboursement à l‘euro près : celle de l‘année 2017 comme année de référence » pour la compensation de la suppression de la TH, comme s‘il ne s‘était rien passé en 2018 et 2019… » Logiquement, les associations d‘élus  demandent dans leur motion commune que le calcul de la compensation pour les communes soit fondé sur les derniers taux votés en 2019 et non sur ceux de 2017.

Philippe LAURENT, maire de Sceaux (92), secrétaire général de l‘AMF, président de la commission des Finances et fiscalité locales de l‘AMF.

Antoine HOMÉ, maire de Wittenheim (68), vice-président de Mulhouse Alsace Agglomération et conseiller régional, rapporteur de la commission des Finances et fiscalité locales de l‘AMF.

Présent lors du débat, le secrétaire d‘État auprès du ministre chargé de l‘Action et des Comptes publics, Olivier Dussopt, avait fait valoir, quelques minutes plus tôt, que « la loi de programmation des finances publiques votée fin 2017 disait que les valeurs locatives de 2020 et le taux de 2017 seraient pris en compte pour calculer la compensation ». Ce point reste donc un « point de désaccord », selon le ministre, d‘autant que « si l‘on prend en compte les taux votés en 2018 et en 2019, les collectivités qui les ont baissés auraient une compensation inférieure à celle que l‘on calculerait avec le taux de 2017 », a justifié Olivier Dussopt qui a précisé qu‘« un tiers des communes qui ont fait évoluer leur taux l‘ont fait à la baisse » quand « deux tiers l‘ont fait à la hausse ».
« L‘impossibilité pratique de débattre correctement de réformes complexes », comme celle de la fiscalité locale, au sein d‘un projet de budget générique, a ainsi « démontrée », selon les associations d‘élus, la nécessité de mettre en place, « dès 2020 », une loi de finances dédiée aux collectivités.

Pour une révision des valeurs locatives « dans les meilleurs délais »

Les signataires de la motion enjoignent également le gouvernement à ne pas repousser la révision des valeurs locatives sur les locaux d‘habitation. « La proposition du gouvernement de reporter l‘application de ce dispositif aux calendes grecques, en 2026, n‘est pas acceptable nous demandons qu‘elle soit fixée en 2022 », a indiqué le rapporteur de la commission des finances de l‘AMF, Antoine Homé. « Pour agir efficacement contre les inégalités et éviter toute remise en cause d‘autres impôts locaux, la révision des valeurs locatives des locaux d‘habitation doit être menée dans les meilleurs délais », estiment donc les représentants des collectivités locales. Fin de non-recevoir d‘Olivier Dussopt qui a expliqué que « nous ne savons pas le faire en moins de trois ou quatre ans, y compris techniquement » : « Nous avons mis trois ans pour réviser les 3,5 millions de locaux professionnels, et, là, il y a 48 millions de locaux d‘habitation… », a-t-il justifié.

« Vives inquiétudes » sur les impôts de production

Dernière revendication des associations d‘élus dans le cadre de cette motion commune : la fin de la remise en cause des impôts de production (tels que la contribution sociale de solidarité des sociétés dite C3S, la CFE ou la CVAE). L‘offensive lancée ces dernières semaines par « certaines organisations patronales » et « relayée par le gouvernement » les préoccupe particulièrement. Le débat engagé sur la fiscalité économique locale « conduit à remettre en question des assiettes fiscales, telles que la valeur ajoutée qui avait été souhaitée par les entreprises lors de la suppression de la taxe professionnelle, mais surtout, il ancre l‘idée fausse selon laquelle la crise de l‘industrie résulterait du niveau des impôts locaux », jugent les associations d‘élus. Elles rappellent que, « depuis la réforme de la taxe professionnelle, la fiscalité économique subit une érosion continue », « son poids dans les ressources fiscales des collectivités passé de 34 % à 19 % » au cours des vingt dernières années.
Alors que le ministre de l‘Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a jugé que ces impôts « pénalisent nos entreprises » et milite pour les baisser dès la loi de finances pour 2021, Olivier Dussopt a tenté de rassurer les élus locaux, en les assurant qu‘il n‘est « pas envisagé par le gouvernement de supprimer les impôts économiques perçus par les collectivités territoriales », le « seul qui l‘intéresse est la C3S », jugé « inefficace et contre-productif ».

Le gouvernement se penche sur le potentiel fiscal

Olivier Dussopt, secrétaire d‘Etat auprès du ministre de l‘Action et des Comptes publics, veut engager une réflexion sur les potentiels fiscaux : « Au-delà de la réforme de la DGF et de sa composition, absolument incompréhensible, il faut avoir une attention particulière sur le potentiel fiscal. En 2018, certains maires ont vu leurs dotations s‘écrouler du fait de la mise en œuvre de l‘intercommunalité et leurs potentiels fiscaux baisser ou augmenter alors que leur situation n‘a pas changé. Avec la réforme de la fiscalité, il y a les mêmes risques pour 2022. Nous proposons donc de consacrer les six premiers mois de l‘année à un travail de réflexion sur le potentiel fiscal. Tout le monde dit qu‘il est injuste et que nous pouvons l‘améliorer. Essayons, mais il n‘est pas sûr que l‘on y arrive. Si l‘on n‘arrive pas à se mettre d‘accord sur une nouvelle façon de calculer le potentiel fiscal, on mettra une disposition pour neutraliser l‘effet de la taxe d‘habitation dans le projet de loi de finances pour 2021 », a-t-il indiqué le 21 novembre devant les congressistes.

Même constat du côté de Jean-René Cazeneuve, député du Gers et président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l‘Assemblée nationale, qui s‘est dit « opposé à cela ». « Il n‘y a rien de décidé. Il n‘y a rien à court et moyen terme », a-t-il affirmé.

Contractualisation : « Le retour de la tutelle »

Par ailleurs, certains maires ont mis en avant les paradoxes de la contractualisation instaurée entre l‘État et les 321 collectivités les plus grandes (2). Malgré « l‘énorme travail en début de mandat réalisé pour rationaliser l‘ensemble des dépenses », Jean-Paul Jeandon, maire de Cergy (95), a regretté que le fait « d‘avoir été vertueux en début de mandat l‘a pénalisé en fin de mandat ». Étant donné que « la contractualisation ne prend que l‘année 2017 comme critère », sa commune vient d‘être sanctionnée d‘une pénalité de 830 000 euros puisqu‘elle fait partie des 14 collectivités locales qui n‘ont pas respecté la limite d‘augmentation de 1,2 % des dépenses de fonctionnement l‘an passé. Pour cette raison, le maire de Cergy a estimé que la contractualisation est un dispositif « contre-productif » et « injuste » pour lequel il « faut revoir un certain nombre de critères », bien qu‘il ne soit « pas contre le principe ». Sur le même sujet, le maire de Cannes et président de la communauté de commune du Pays-de-Lérins (06), David Lisnard, a dit ne pas comprendre « qu‘il puisse y avoir une sorte d‘acceptation d‘une tutelle qui est, effectivement, une remise en cause fondamentale des principes de décentralisation ». Alors que « les communes contribuent à réduire le déficit public », il a regretté que « le donneur d‘ordre, l‘État, ne s‘applique pas les principes qu‘il impose aux communes ».

« Ces contrats peuvent être améliorés », a répondu Olivier Dussopt, assurant que le débat restait « ouvert » et pourrait faire évoluer le dispositif actuel « dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques pluriannuelle qui va intervenir au printemps prochain, entre avril et mai ». Entre autres améliorations, « il y a des choses contradictoires à trancher ensemble : certains élus nous appellent à ne pas regarder que le budget principal mais aussi les budgets annexes, d‘autres demandent à rester sur le budget principal… », a détaillé le secrétaire d‘État.

« Repartir de zéro »

Face à « la baisse des dotations », au « transfert de compétences » mais aussi à la « disparition de l‘autonomie fiscale », conséquence de la suppression de la taxe d‘habitation, Didier Laguerre, maire de Fort-de-France (972), s‘est interrogé : « Est-ce que les contraintes budgétaires que l‘on fait peser sur les collectivités locales ne sont pas une façon de remettre en cause la décentralisation et leur capacité à choisir une politique publique et de développement de leur territoire ? » « Avec cette diminution des ressources financières et ce transfert de compétences, des territoires exposés se retrouvent démunis face à une compétence exercée », a-t-il constaté. Résultat, « on réduit la voilure sur d‘autres compétences comme les écoles, les crèches, l‘entretien routier, l‘aménagement… et, au final, vous allez vous retrouver dans une situation où vous allez, progressivement, mettre ce territoire en difficulté. Vous allez vous retrouver à choisir, non pas ce que vous voulez faire, mais ce que vous ne voulez pas faire ».

Ingénierie financière : doit mieux faire

Sandrine Cosserat, maire de Volonne (04), a témoigné de ses difficultés lors de la mise en place de son « projet global » de création d‘un centre de santé, d‘une cantine, d‘un réseau de chaleur, de 22 logements sociaux : « Mon témoignage est celui d‘une maire qui aurait aimé avoir à ses côtés des soutiens pour faire de l‘ingénierie financière. On nous dit qu‘il faut aménager, transformer et adapter nos villages aux transitions écologique et numérique. Seulement, quand on est un village rural et qu‘on porte un projet global, on n‘est pas accompagné dans une globalité de financement. Pour moi, cela a été une quarantaine de dossiers : subventions, partenariats, délégations de maîtrise d‘ouvrage qui ont été réalisés dans le cadre du mandat. Ce sont des dossiers émiettés, avec beaucoup de partenaires à convaincre. C‘est une ingénierie extrêmement fastidieuse. Aujourd‘hui, il faudrait avoir une approche plus globale du projet ». En réponse, Olivier Dussopt, secrétaire d‘Etat auprès du ministre de l‘Action et des Comptes publics, a mis en avant le nouveau programme « petites villes de demain » qui vise à « mobiliser du droit commun et pas des appels à projets » et à « ne pas fixer de seuils » pour bénéficier d‘un accompagnement. Il est aussi revenu sur les contrats de projet, inscrits dans la réforme de la fonction publique, qui vont « permettre aux collectivités de s‘adjoindre des compétences techniques durant la durée d‘un projet ».

Plus globalement, face à l‘« immense problème de lisibilité » des dotations notamment et aux élus locaux qui n‘y « comprennent plus rien », Pierre-Jean Verzelen, maire de Crécy-sur-Serre et président du Pays-de-la-Serre (02), a défendu l‘idée d‘un « grand débat sur la décentralisation » et estimé que, « pour simplifier les choses et les réformer » et retrouver « la confiance entre l‘État et les collectivités », il ne fallait « pas essayer d‘adapter le système actuel », mais davantage « accepter la page blanche, repartir de zéro et réfléchir dans un cadre totalement nouveau ».


(1) www.amf.asso.fr (réf. BW39721)
(2) Par rapport à la liste des 322 collectivités mentionnées par l‘instruction de mars 2018 de mise en œuvre des articles 13 et 29 de la loi de programmation, la Ville de Paris et le département ne font désormais plus qu‘une collectivité depuis 2019.
 



© Aurélien Faidy - Arnaud Février - Victoria Viennet pour l'AMF
En partenariat presse avec :