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FORUM (Salle de la Nation) - Mardi 19 novembre 2019 - 10h00 à 12h30

Vieillissement : il n’est plus temps de réfléchir mais d’agir

Les maires n‘ont pas tous pris conscience de la nécessité d‘adapter la ville au vieillissement de la population. Le forum en a démontré l‘importance et la faisabilité. 

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La France compte actuellement plus de 1,3 million de personnes âgées en perte d’autonomie. Elles seront près de 2,2 millions en 2050. Souvent présentée comme un risque, la vieillesse ne se conjugue pas au singulier. Elle est davantage « plurielle » comme l‘a illustré Mickaël Blanchet, docteur en géographie sociale, auteur de l’Atlas des séniors et du grand âge en France, en introduction du forum consacré au vieillissement, mardi 19 novembre. Cela justifie que les politiques à destination des seniors soient également plurielles. Sachant que l‘on ne mesure pas toujours non plus, à l‘origine, l‘ensemble de leurs impacts. Or, « quand on met en place des lieux de sociabilité pour les personnes âgées, on observe des croisements avec d‘autres publics, comme les parents », a pointé le géographe. Les bénéfices ne sont donc pas uniquement « catégoriels ». « Les politiques d‘aménagement de nos communes ont tout à gagner à anticiper le vieillissement car cela bénéficie à d‘autres publics et cela n‘est pas plus couteux quand c‘est pensé en amont » a confirmé Gaël Perdriau, maire de Saint-Etienne (42), président de la commission des affaires sociales de l’AMF et co-président du forum.

Des politiques plurielles

L‘expérience des territoires ultramarins est à ce titre très intéressante. Car ils connaissent un « vieillissement accéléré de leur population » et vont devoir faire face, comme la Martinique ou la Guadeloupe, à l‘horizon 2030, à un « vieillissement aigu de leur population », a souligné Mickaël Blanchet. Les communes s‘y préparent depuis plusieurs années. Trois témoignages l‘ont illustré. Ceux de la commune des Abymes (54 260 hab.), et de Morne-À-l‘Eau (17 288 hab.), en Guadeloupe, et de Schoelcher (20 000 hab.), en Martinique. « Les enjeux portent aussi bien sur le logement, les transports pour parer à de gros problèmes d‘accessibilité, que sur l‘accompagnement des personnes âgées car certaines vivent très isolées, dans des hameaux », a résumé Eliane Guiougou, conseillère municipales des Abymes, vice-présidente de la communauté d’agglomération Cap excellence. « Ville amie des aînés » depuis 2013. Schoelcher a multiplié les diagnostics (social, urbain) pour mesurer les attentes et besoins et de là, imaginer des actions. Beaucoup misent sur la prévention, explique l‘adjointe au maire, Marie Garon, coprésidente du forum : « un groupe d‘experts nous a aidé à réfléchir à un schéma gérontologique communal par la suite signé par l‘Agence régionale de santé, la caisse de sécurité sociale, le département, avec un but : préserver la bonne santé des ainés ». Cela a entrainé notamment la création d‘un « pass sport santé sénior ». Avec des effets vérifiés « A tel point que des médecins nous adressent des personnes car ils ont constaté que leurs patients se portaient mieux quand ils bénéficiaient du passeport », a expliqué l’élue. D‘autres actions portent sur l‘habitat par exemple. A chaque fois, il s‘agit de donner « le coup de pouce » qui permet de dépasser les obstacles culturels ou financiers. « Coup de main habitat », c‘est le nom d‘un dispositif « fait maison » par Schoelcher pour faciliter l‘adaptation des logements. Plutôt escarpée, la commune a aussi créé des trottoirs pour faciliter la mobilité des personnes. Sur l‘île voisine de la Guadeloupe, Morne-À-l‘Eau « n‘est pas en perte démographique », mais « cela n‘empêche pas de devoir agir sur le vieillissement », estime Annette Pressé, conseillère municipale. Ici, les élus ont imaginé un écoquartier pour créer des liens intergénérationnels sur un quartier vieillissant, en centre bourg, autour de services et commerces. 
Ces expériences séduisent, car « il faut lutter contre la spécialisation des espaces et des lieux », a réagi Marie-Odile ESCH, membre du Conseil Economique Social et Environnemental (CESE), rapporteure de l’avis « Vieillir dans la dignité ».

Gaël PERDRIAU, maire de Saint-Etienne (42), président de la commission des affaires sociales de l’AMF.

Marie GARON, adjointe au maire de Schœlcher (972), ville amie des aînés.

 

Plus globalement, elle insiste à son tour sur « l‘urgence d‘anticiper car le parcours de vie conditionne le vieillissement ». Pour le président de la Fédération du sénior, Olivier Calon, l‘objectif « pour mieux vieillir » doit être « de se maintenir en forme dès 50 ans ». « C‘est aussi le moyen pour que les seniors deviennent la ressource humaine dont la société a besoin ». Ce qu‘elles sont déjà largement dans leur investissement bénévole et associatif. A condition qu‘une partie d‘entre eux, ceux que l‘on appelle les aidants, ne se soient pas non plus épuisés. C‘est pourquoi les communes doivent redoubler aussi de vigilance et d‘attention à leurs égards, a souligné Gaël Perdriau.

Repenser la prise en charge de la dépendance 

Cependant, la prévention ne suffit plus. Il faut parfois compenser la perte d‘autonomie ou la dépendance qui complique la vie de la personne dans « le grand âge ». « Notre société ne reconnaît pas aujourd‘hui le grand âge et la dépendance. Je le vois bien. C‘est encore très compliqué d‘entrer dans un établissement d‘hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), pour la famille, les proches. Et je ne parle pas des élus que l‘on n‘y voit pas souvent, si ce n‘est pour les inaugurer ». La critique est directe. Signée de Pierre Martin. Sa double casquette, de maire de Chauvé (44), et de directeur d‘EHPAD la rend crédible. Personne n‘objecte dans l‘assistance.

Autre constat partagé, que ce soit en Outre-mer ou en métropole, les personnes en perte d’autonomie veulent rester chez elles, « à domicile ». C‘est peut-être cette notion de « domicile » qui doit évoluer. En tout cas, Marie-Anne Montchamp, présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l‘autonomie (CNSA), en est convaincue et a semblé convaincre une partie de l‘assistance… « Il existe une forme de guerre de religions entre l‘EHPAD qui serait mauvais et le domicile qui serait la panacée. Or, tout dépend de la situation de la personne, de son domicile, de l‘EHPAD. Le problème étant qu‘aujourd‘hui, on manque de places dans les EHPAD, on recherche des solutions dans un modèle dans lequel pourtant on ne se projette pas soi-même. Il faut poser la question du changement de notre modèle. La réponse n‘est pas que sanitaire ou sociale ou médico-sociale. Les gens veulent être bien soignés pour avoir une vie, être un citoyen debout, quel que soit son âge ou son état de santé », a expliqué l‘ancienne secrétaire d‘Etat. 

Bientôt une loi sur le grand âge et l’autonomie

Le secteur de l‘aide à domicile est en souffrance, comme celui de l‘hébergement. Aux listes d‘attentes pour entrer dans les EHPAD font écho les difficultés des services d‘aide à domicile de recruter des agents. Les maires n‘ont bien sûr pas la main sur l‘ensemble des décisions.

Ville amie des aînés, délégation aidants… les pistes suggérées aux futurs élus 

S‘il fallait retenir une piste, les maires auront noté celle de Gaël Perdriau, président de la commission des affaires sociales de l’AMF : se plonger dans le cahier des charges du dispositif « Ville amie des aînés », « car il donne des orientations intéressantes autant en matière de prévention que d‘animations ». Le maire de Saint Etienne (42) a également incité ses collègues à créer des contrats locaux de santé pour se donner les moyens de réunir des acteurs incontournables (Etat et conseil départemental) et des financements complémentaires sur certains projets. Olivier Calon, président de la Fédération du sénior, suggère aux futurs (ré)élus de créer une délégation en direction des aidants. Dernière proposition, celle de Pierre Martin, maire de Chauvé (44) et représentant l‘AMF au Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge : « il faudrait trouver un nouveau nom aux EHPAD ». La proposition est moins anecdotique qu‘il n‘y parait. Car seul un acronyme n‘évoquant rien de précis désigne aujourd‘hui ces résidences où vivent les plus âgés et dépendants. Signe selon lui, de la perplexité ou du malaise de notre société à leur égard. 

Ils ont en revanche pu entendre une partie des préconisations remises en mars dernier au gouvernement par Dominique Libault, conseiller d’État, chargé par la ministre des Solidarités et de la Santé de la consultation sur le grand âge et l’autonomie. Ces mesures doivent nourrir le projet de loi éponyme, attendu pour la fin de l‘année. « Nous attendons une loi réformatrice sur la politique de l‘âge », a appelé Marie-Anne Montchamp. Le conseiller d’État a d‘ailleurs titré son rapport « le temps d‘agir » car il est « frappé du paradoxe entre les fortes attentes et constats » et la difficulté à entreprendre les réformes et à prendre les décisions nécessaires pour y répondre. Son rapport propose notamment d‘augmenter les financements dédiés à la perte d‘autonomie. « Le grand âge, c‘est aujourd‘hui 3 % des dépenses de la protection publique, on propose de passer à 4 % d‘ici 2030, il n‘y a rien d‘impossible. Mais cela suppose d‘accepter de faire des efforts et d‘y être prêts », a-t-il souligné. Répondant à Pierre Martin qui appelle à « faire sauter les verrous entre domicile et établissement », Dominique Libault pense aussi que « l‘EHPAD doit évoluer, pour s‘ouvrir sur le reste de la vie et de la ville », de même qu‘il faudrait multiplier les résidences intergénérationnelles. « On peut espérer des financements supplémentaires mais ne rêvons pas trop. En attendant, restons militants » et « prenons davantage en charge la question du vieillissement pour poser les bons objectifs et aller chercher les moyens, notamment auprès de l’Etat », concluent Pierre Martin et Gaël Perdriau.

Emmanuelle STROESSER



© Aurélien Faidy - Arnaud Février - Victoria Viennet pour l'AMF
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