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FORUM (Salle de la Citoyenneté) - Jeudi 21 novembre 2019 - de 9h30 à 11h30

Sargasses, chlordécone, pollutions industrielles et minières : gérer un lourd « héritage »

Les élus ultramarins sont démunis et découragés face à l’ampleur de certaines pollutions. Ils demandent plus de moyens à l’Etat et un renforcement de l’action au niveau international.

L

e sentiment d’être abandonnés : c’est ce que les élus des Antilles ressentent face aux échouages d’algues sargasses qui s’enchaînent depuis 8 ans. « Les gens en métropole ont du mal à prendre conscience du fléau que cela représente », a estimé Jean-Claude Pioche, président de l’Association départementale des maires de Guadeloupe, maire de La Désirade. Il a décrit des marées d’algues brunes, qui s’accumulent sur les côtes et les plages, bloquent parfois les ports, deviennent nauséabondes en séchant et dégagent de l’hydrogène sulfuré, de l’ammoniac, de l’arsenic et du mercure. Le phénomène affecte gravement le quotidien des riverains, altère leur santé (les symptômes immédiats sont des maux de tête et des vomissements, mais les conséquences sanitaires à long terme ne sont pas du tout appréhendées pour l’instant) et pourri leur vie (odeur persistante dans les maisons, dommages au niveau des plafonds, des toits, oxydation des équipements électroménager…). 
Economiquement, c’est une calamité pour ces communes qui vivent essentiellement du tourisme, ainsi que de la pêche, également pénalisée. Quant aux impacts écologiques, ils sont inconnus. « Il y a aussi des sargasses en Normandie, même si les impacts n’ont rien à voir avec la situation que connaissent les communes des Antilles, a relevé Sébastien Pien, responsable du « pôle environnement » du SMEL (Synergie mer et littoral), un syndicat mixte de la Manche. C’est ce qui nous a amené à travailler sur plusieurs voies de valorisation. »

Jean-Claude PIOCHE président de l’Association départementale des maires de Guadeloupe et maire de La Désirade (971)

Sargasses : les élus ultramarins démunis

Les maires antillais eux, se sentent démunis, et bien seuls. « Nous avons besoin que l’Etat vienne en renfort », a réclamé Jean-Claude Pioche. Le Premier ministre a indiqué lors de son déplacement en Guadeloupe, en octobre dernier, que l’accompagnement de l’Etat se poursuivrait « dans la durée ». Un plan de 12 millions d’€, lancé mi 2018, s’étale jusqu’en 2020. Mais pour les élus locaux de Guadeloupe et Martinique, c’est loin d’être suffisant. Gilbert Eustache, maire du Diamant (Martinique), a évoqué la nécessité de mettre en place un « Plan Marshall ». Cette commune de moins de 6 000 habitants a dépensé, depuis 2011, 500 000 € pour enlever les sargasses. Comme dans de nombreuses autres communes, les moyens manquent pour louer des engins, payer des agents, les former pour qu’ils travaillent en sécurité, financer des exutoires… La hauteur du tas d’algues amoncelées peut atteindre un mètre. La surface peut couvrir l’équivalent d’un, deux, trois terrains de football. Il faut ramasser en moins de 48 heures, avant que les sargasses ne dégagent leurs gaz toxiques, « Une tâche impossible avec nos moyens », a relaté Jean-Claude Pioche. Parfois, juste après une collecte, un nouvel échouage à lieu. Les sites de stockage arrivent à saturation. Des établissements, des collèges, ont parfois dû être fermés quelques jours, des quartiers évacués…  

Les maires et les services municipaux n’en peuvent plus. L’effet démoralisateur est extrême car chacun sait que le phénomène s’inscrit maintenant durablement dans le paysage. « Nous sommes en train d’épuiser nos ressources dans cette tâche. L’Etat donne quelques subsides aux communes pour les aider à nettoyer », admis Raymond Occolier, maire du Vauclin (Martinique). Mais ces aides sont tombées tout à coup de 80 % à 30 %. L’élu a dénoncé un « Etat qui n’assure pas ses responsabilités essentielles : il ne prend pas vraiment sa part de responsabilité pour protéger les populations, et il ne pèse pas vraiment à l’international sur les pays qui sont à la source du phénomène ». L’élu est convaincu que « si cette situation se produisait en Bretagne, en Normandie ou sur la côte Méditerranéenne, avec les mêmes émissions de substances toxiques, il y aurait immédiatement des mesures très fortes qui seraient prises ».

Pollution des sols

La deuxième partie du forum était consacrée à d’autres conséquences environnementales et sanitaires, celles des pollutions industrielles et minières, qui contaminent notamment les sols et mettent également les élus locaux sous tension. Le sujet n’a pas manqué d’intéresser les élus antillais, qui sont confrontés aux conséquences de l’utilisation du chlordécone, un dangereux insecticide employé longtemps dans les bananeraies. Le produit est suspecté d’être à l’origine de cancers de la prostate, très nombreux aux Antilles. Cette pollution va persister dans les sols des centaines d’années. « Pour quelques bananes de plus, on a mis en danger la vie de nos populations, empoisonné nos sols et nos rivières, condamné peut être à tout jamais le développement de certaines activités. C’est l’avenir de nos territoires qui a été bradé », a déploré Jean-Claude Pioche, qui invite à tirer les leçons de l’histoire. « Créer de l’emploi, c’est une priorité pour nous tous, en particulier dans nos territoires ultramarins frappés par un taux de chômage très élevé. Mais on ne doit pas se pervertir comme on l’a fait par le passé. Le prix à payer est beaucoup trop élevé pour les générations futures », a-t-il jugé. 

« La prise de conscience autour de ces pollutions du passé est laborieuse. Il est moins compliqué de faire face à cet héritage en zone urbaine, du fait de l’enjeu de reconquête d’emprises foncières. Il y a un grand besoin de foncier en zone tendue et ces terres, qui ont déjà eu une vie, constituent alors une solution. Dans les zones détendues ou les petits territoires, il n’y a pas ces opportunités », a analysé Jean-Louis Denoit, maire de Viviez (Aveyron), qui représente l’AMF dans le groupe de travail national sur les sites et sol pollués. Un invité venu du Québec a illustré cette réalité : Jean Lamarche est le maire de Trois-Rivières, une ville qui mène de grandes opérations de reconquête d’anciennes friches industrielles. « C’est l’occasion de repenser la ville et de lui redonner un sens, en l’occurrence celui de l’innovation », a-t-il expliqué, mettant en avant la nécessité de travailler « l’ensemble de l’œuvre », dans la transversalité, en croisant environnement, santé publique, tourisme, économie, social, citoyenneté, culture … Félix Lallemand, fondateur de l’association Greniers d’abondance, a cité l’exemple, en France, des bassins miniers avec des villes comme Loos-en-Gohelle, dans le Pas-de-Calais, qui parvient aujourd’hui à renaître et à retrouver de l’attractivité.

Concilier développement et respect de l’environnement

En Guyane, « un bout de la France de la taille du Portugal », comme l’a rappelé David Riché, président de l’Association départementale des maires de Guyane, maire de Roura, « il n’y a pas d’industries, sauf le spatial, mais il y a beaucoup de pollutions. ». L’enjeu immédiat est l’arrêt de l’orpaillage illégal et de ses ravages environnementaux et sanitaires (pollution au mercure), et celui de l’immigration qu’il génère. « La France n’arrive pas à régler ce problème », a témoigné l’élu, qui considère que la Guyane est victime d’une sorte de « double peine » : son développement économique est sacrifié au nom de la richesse de sa biodiversité. « Il y a toujours une grenouille à tête rose ou une libellule aux ailes bleues qui fait que l’on enterre en cours de route des projets pourvoyeurs d’emplois », a fait observer David Riché, tout en constant que « pour autant, l’environnement est malmené quand même, à grande échelle, par des activités illégales. » Il a plaidé en faveur de compensations financières environnementales qui permettraient aux acteurs locaux de dégager des revenus pour protéger des arbres, par exemple.

Sargasses : agir à l’international

En octobre dernier, la Guadeloupe a organisé la première conférence internationale sur les sargasses, qui a réuni des représentants de nombreux pays touchés (Mexique, Etats-Unis, République dominicaine, Panama par exemple), des scientifiques, des experts, des entreprises. Cette rencontre a fait le point sur les recherches et montré qu’il existe un savoir-faire (détection par satellite, méthodes automatisées de ramassage, barrages déviants, pistes de valorisation…). « Mais il faut que la puissance publique prenne en charge le coût », a rappelé Raymond Occolier. La conférence a posé le constat que la lutte à long terme contre la prolifération des bancs de sargasses passe par la coopération internationale, les sources se situant, notamment, dans le bassin amazonien et autour du fleuve Congo. Félix Lallemand confirme la nécessité d’une approche systémique pour comprendre le problème et trouver des solutions car « les sargasses sont le symptôme d’un problème plus profond : la déstabilisation massive des écosystèmes à l’échelle internationale ». 

En Nouvelle-Calédonie, Eddie Lecourieux, maire du Mont-Dore, a décrit la tâche difficile des élus locaux « sur tous les fronts » entre le lourd héritage du passé (l’exploitation du nickel a laissé des plaies non cicatrisées), un méticuleux travail de prévention et de vigilance vis-à-vis des industriels, la protection et la replantation de la forêt ravagée par les flammes… « Le développement durable, ce n’est pas juste un mot pour des gens dans des bureaux. Il est possible de créer de l’activité qui soit respectueuse de l’environnement, même si c’est un combat de tous les jours », a-t-il affirmé.

Fabienne NEDEY

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