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FORUM (Salle de la Citoyenneté) - Mercredi 20 novembre 2019 - 14h30 à 17h30

L’Etat et les élus mobilisés pour résorber la fracture numérique 

Environ 13 millions de Français seraient en difficulté pour utiliser les outils numériques. Un défi de taille pour les acteurs publics.  

D

eux ministres - Julien Denormandie et Cédric O - mais aussi la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), Marie-Laure Denis (lire ci-contre), se sont relayés, mercredi 20 novembre, au Forum numérique du Congrès des maires. Chacun dans leur domaine de compétences, ils ont touché du doigt les inquiétudes que crée la fracture numérique et tenté d’y apporter des réponses, tandis que les élus croisaient leurs expériences. 

Cédric O, secrétaire d’État au Numérique, a retenu un enseignement du Grand débat national : la dématérialisation des services publics - qui pourront tous être accessibles en ligne d’ici 2022 - est associée, pour beaucoup de Français, à « une violence sociale et sociétale extraordinaire ». Elle leur « renvoie une impression de déclassement, le sentiment qu’ils ne peuvent plus être autonomes » pour effectuer leurs démarches administratives. « L’État porte sa part de responsabilité, a poursuivi le secrétaire d’État. Il s’est dit <>. Ce n‘est pas ce qui s‘est passé ». 

Lutter contre l’illectronisme

C’est là tout l’enjeu : comment assurer l’égalité des Français devant l’accès aux droits quand 13 millions d’entre eux, environ un cinquième de la population, se disent en situation « d’illectronisme », c’est-à-dire en grande difficulté avec les outils numériques ? « Quand on ajoute ceux qui ne savent pas remplir une déclaration d’impôt en ligne, c’est au moins la moitié de la population qui est éloignée du numérique », a estimé Patrick Molinoz, maire de Venarey-les-Laumes (21) et vice-président de l’AMF. « C‘est une révolution, ça avance vite et les humains ont parfois du mal à suivre, a déploré Sylvette Rochas, adjointe au maire d’Échirolles (38) et membre du conseil d’administration du Centre communal d’action sociale (CCAS). Il faut prendre les gens là où ils sont, les accompagner et lever les anxiétés et les peurs ». Tous les publics sont touchés, même les plus improbables. « Utiliser les réseaux sociaux, les jeunes savent faire. Mais allez les faire s‘inscrire sur Parcoursup », observe encore Sylvette Rochas.

C’est dire l’ampleur du « défi tant pour les usagers que pour les services communaux », a souligné Nicolas Bonneau, maire de La Chapelle-Saint-Mesmin (45) et rapporteur de la commission Numérique de l’AMF, qui coprésidait le forum avec Michel Sauvade, maire de Marsac en Livradois (63) et maire référent de l’AMF pour la téléphonie mobile. Sur Internet, « vous vous retrouvez face à un mur », a reconnu Cédric O, qui souhaite que le numéro de téléphone des administrations apparaisse de nouveau clairement sur leurs sites internet. Au-delà de cette nécessité, il estime que sur les 13 millions de Français en difficulté, la moitié seulement peut « monter en compétence ». Pour les aider, le gouvernement a lancé le «Pass numérique », un chèque de 10 euros cofinancé par l’Etat et les collectivités territoriales, et actuellement expérimenté dans 48 collectivités. Il est expérimenté dans 48 collectivités. L’usager, identifié au préalable par des agents territoriaux, pourra l’utiliser dans l’un des 5 000 lieux de médiation numérique pour être autonome en ligne. « Les premiers retours sont très positifs », s’est réjoui Cédric O. Un avis nuancé dans la foulée par Patrick Molinoz, qui se demande si on ne met pas là « la charrue avant les bœufs ». « On aimerait avoir le référentiel de la formation . C’est bien d’avoir le ticket restaurant, c’est mieux de savoir si le restaurant apporte la bonne réponse ».

Nicolas BONNEAU, maire de La Chapelle Saint Mesmin (45), rapporteur de la commission Numérique de l’AMF.

Michel SAUVADE, maire de Marsac en Livradois (63), maire référent de l’AMF pour la téléphonie mobile.

 

Sécuriser les démarches des aidants

Pour l’autre moitié de Français, celle qui ne pourra pas se former aux outils numériques, Cédric O prépare l’expérimentation, en 2020, de l’outil Aidant Connect, permettant de «sécuriser celles et ceux qui effectuent les démarches à la place d’un autre usager et de gérer l’urgence. Ce sera notamment le cas dans les Maisons France services ». La généralisation de cet outil est prévue pour le second trimestre 2020. Et c’est peu dire qu’elle est attendue : une secrétaire de mairie en a témoigné en expliquant qu’elle jongle quotidiennement avec les données personnelles des habitants des communes où elle travaille. La dématérialisation des services publics « questionne aussi les pratiques professionnelles dans le secteur social, confirme Sylvette Rochas. « Le problème, c’est que les travailleurs sociaux ont tous les codes des gens qu’ils suivent. Quelle responsabilité pour eux d’avoir ces données personnelles ! »

Une solution se dessine peut-être à l’avenir : la carte d’identité numérique. Ce document se substituerait, à partir de l’été 2021, à la carte d’identité actuelle et contiendrait, comme les passeports ou les titres de séjour aujourd’hui, une puce « qui permettra à tout un chacun de prouver son identité sur Internet », a expliqué Valérie Péneau, directrice du programme interministériel Identité numérique. Selon Cédric O, « avec cette identité unique, un certain nombre de démarches pourront être internalisées, les administrations communiqueront entre elles. Ce qui évitera à l’usager de répéter ses informations personnelles auprès de chaque administration »

Couverture numérique : éviter la fracture territoriale 

Les élus, présents dans la salle, n’ont pas tardé à ramener le ministre dans le temps présent. « Aujourd’hui, le problème que l’on a, ce n’est pas l’inclusion numérique », a protesté le maire d’une commune rurale de Côte-d’Or. « On n’a pas les tuyaux ». Pour beaucoup d’élus présents, fracture numérique rime avant tout avec fracture territoriale. « Un deuxième exode rural se prépare », a même osé dans un coup de gueule, le président du conseil départemental d’Eure-et-Loir, Claude Térouinard. « La frustration grandit » d’autant plus chez le Français qui constate que « la 4G est présente dans la commune voisine » alors que lui « n’en bénéficie pas chez lui », a expliqué Michel Sauvade.

RGPD : « 60 % des communes n’ont pas désigné de DPD »

Depuis le 25 mai 2018, les communes et intercommunalités sont soumises au Règlement général pour la protection des données (RGPD). Elles sont dans l’obligation de désigner un délégué à la protection des données (DPD), « personnage central » s’il en est dans l’application du cadre juridique. Pourtant, « 60 % des communes n’ont pas encore désigné de DPD » bien que leur nombre soit passé de 3 000 à 13 600 entre mai 2018 et aujourd’hui, a affirmé Marie-Laure Denis, présidente de la CNIL, en ouverture du forum. Les communes sont donc incitées à le « faire le plus vite possible » d’autant qu’il ne faut « pas se faire une montagne de la mise en conformité au RGPD ». Les communes ont, en effet, le choix entre plusieurs formules : un DPD interne à la commune, externe ou « mutualisé » à l’échelle de plusieurs communes ou de l’intercommunalité. Seule exigence : « imposer une séparation des rôles entre le responsable de traitement des données personnelles et le DPD ». « La désignation des adjoints et des conseillers municipaux » est, par conséquent, à proscrire, selon la CNIL. Qui peut sanctionner financièrement les communes qui ne respecteraient pas le RGPD. « C’est du cas par cas », rassure toutefois Marie-Laure Denis, qui cherche avant tout à « nouer un dialogue avec les élus ». La CNIL a publié un guide avec l’AMF pour aider les collectivités à appliquer le RGPD (1)

 

Face à ces témoignages, Julien Denormandie, ministre chargé de la Ville et du Logement, qui suit l’évolution de la couverture numérique du territoire, a reconnu que « l’on n’habite pas de la même façon quand on n’a pas la fibre ». Dans le même temps, a-t-il affirmé, la couverture numérique du territoire s’intensifie comme jamais. « Avant fin 2020, la zone Amii (zone d’initiative privée en dehors des zones très denses) sera raccordable à la fibre à 92 % (8 % restants étant raccordables à la demande), 14 000 familles sont raccordables chaque jour (…). D’ici juillet 2020, 485 zones blanches auront disparu. Grâce au New Deal Mobile, on va implanter entre 10 000 et 12 000 pylônes mais on est obligé d’y aller par phase », a-t-il expliqué pour apaiser les impatients. Dans le cadre du dispositif de couverture ciblée, 600 à 800 sites, identifiés par les élus au sein d’équipes projet départementales ou infradépartementales et validés par décret, bénéficieront chaque année de la 4G....
Julien Denormandie n’a pas nié les « disparités territoriales ». « Il y a un territoire pour lequel je suis inquiet (en référence à l’objectif 2020 : bon débit pour tous) et 25 départements où je suis particulièrement la situation (en référence à l’objectif 2022 : très haut débit pour tous, dont 80 % de fibre Ftth) ». Pour y remédier, le ministre mise sur la réouverture – après quasiment deux ans de suspension - du Fonds pour la société numérique (140 millions d’euros) pour financer les réseaux d’initiative publique (Rip) mais aussi sur les solutions alternatives, en attendant la fibre optique jusqu’à l’abonné (Ftth) pour tous en 2025. Des solutions à court terme - telles que la boucle locale radio, le satellite ou la 4G fixe – qui sont plus chères à l’achat. Pour aider les Français à acquérir ce matériel, le guichet « Cohésion numérique des territoires » finance à hauteur de 150 euros, pour les particuliers et les entreprises éligibles, le coût d’équipement, d’installation ou de mise en service. Problème, selon des participants au forum, le coût total avoisinerait parfois les 400 euros. 

Le ministre se dit « convaincu » que les « opérateurs seront au rendez-vous ». Le président de la Fédération française des télécoms (FFT), Arthur Dreyfuss, a acquiescé. Les élus, eux, attendent de voir…

Ludovic GALTIER

(1) www.amf.asso.fr, Réf: BW39690



© Aurélien Faidy - Arnaud Février - Victoria Viennet pour l'AMF
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